Alors qu’Hélène de Troie marqua la mythologie grecque, j’aurai pour ma part marqué l’histoire de Spartan Race en étant la première personne à compléter une Trifecta sur un weekend et à monter sur les trois podiums.
Mes acolytes pour ce périple : Sébastien David qui, passant 30 % de son temps en France pour le boulot, aura assuré sa présence sur tous les départs des courses Spartan offertes en France cette année; Richard Lee Yuen, compatriote torontois en quête du titre de celui qui complétera le plus grand nombre de Trifecta en une année. Seulement trois personnes au monde s’acharnent à cette mission et avec dix Trifectas à son actif, Richard est présentement en tête.
Samedi matin, alors qu’il fait encore noir, les coups de tonnerre intarissables d’un orage hargneux enterrent le son de notre réveil-matin. L’organisation de la course bombarde les médias sociaux : le départ de la Beast sera repoussé à 10 heures. Une heure plus tard (scène un, prise deux!) avec un petit raz-de-marée au rez-de-chaussée de l’hôtel, c’est sous un ciel éclairci que nous nous dirigeons au circuit Paul Ricard où les courses ont lieu. À leur deuxième année seulement d’opération, l’organisation Spartan Race de France est une des plus impeccables. Sur les lieux, je passe du québécois au français bien articulé afin de me faire comprendre, en passant par l’anglais et l’espagnol pour aider certains venus d’ailleurs. Avec les Italiens… et bien, j’échange des sourires en déployant mon grand vocabulaire de cinq mots : pasta, grazie, parmigiano, ciao! L’excitation des coureurs se fait sentir sur tout le site. On se salue fièrement, on s’échauffe gaiement, on s’encourage et se motive, peu importe l’origine et le niveau.
10 h : BEAST (20,5 km, 2 h 41, 43 obstacles)
Contrairement à l’Amérique du Nord où je reconnais la plupart de mes compétitrices, je suis ici comme à ma première course où je juge le niveau de performance des autres à leur musculature, tenue vestimentaire et attitude. Le mot d’ordre ce weekend : ne jamais se fier aux apparences. Et ne pas non plus présumer que l’absence de montagne facilitera la course! Ils ont vraiment bien exploité les lieux. Les nombreux obstacles s’enchaînent rapidement, tous aussi demandant et originaux les uns que les autres, entrecoupés de sentiers sinueux, rocailleux ou roulants, et avec plusieurs portions quelque peu aquatiques. Le parcours le plus salaud rencontré cette saison. Bref, pas le temps de s’ennuyer!
Partis avec mon sac d’hydratation, mes gels et ma montre, j’avance, j’analyse et j’exécute le plus rapidement possible sans oublier de respecter mon plan nutritionnel, car lors d’une Beast, il ne faut jamais sous-estimer l’importance d’avoir un plan d’action. Des échos se font entendre comme quoi je suis en troisième position. C’est au bout de 90 minutes d’effort soutenu que j’arrive à une minuscule corde à grimper dans les bois où j’ai droit qu’à un essai. Ai-je à peine le réflexe de serrer cette dernière pour la tester qu’au moment même où je la relâche, on me dirige instantanément vers la zone de pénalité. Pas de niaisage chez les cousins français! Obéissante et disciplinée, je compte, haut et fort et c’est une Française à mes côtés, exécutant elle aussi des burpees, qui me demande de compter dans ma tête. (On n’est pas les États-Unis ici.) Mais bon, l’important dans tout ça est que j’aie rattrapé la deuxième! J’en suis rendu au compte de quinze lorsqu’elle complète les siens.
Cette rencontre me donne un regain d’énergie pour prendre en chasse cette gazelle. Le temps semble éternel et l’effort devient de plus en plus exigeant, mais je me tiens accrochée tout au long. À l’épreuve du javelot où mon confrère Thomas Blanc, champion au Royaume-Uni, ne pouvant courser ce weekend faute de blessure, m’encourage allègrement, ‘’elle n’a pas réussi son lancé.’’ Je me concentre, vise, et c’est gagné! Je repars en sprint, le sourire au visage, tentant de contenir mon excitation du moment. Chaque obstacle étant numéroté, je sais que la fin est proche alors je me mets en mode ‘’besa o mata’’ (kiss glory or die in the attempt). Je m’arrache les poumons, la peau et les muscles en traçant mon chemin sous les interminables barbelés vicieusement bas. Hors de ma vue, je n’aurai pas le temps d’aller chercher la fougueuse Espagnole devant. Ma deuxième place fraîchement acquise est assurée!
Recouverte de bouette de la tête aux pieds, l’annonceur me vole pour quelques minutes afin d’avoir mes impressions. En me disant que la douche, le repas et le repos seront bien mérités, je lui demande à quelle heure est le départ pour la Sprint. À 13 heures. Et moi de lui répondre : Dans 15 minutes ?!?!? Ciao! Je sprinte littéralement pour aller changer ma puce au dépôt des sacs, m’enfiler un gel et deux verres d’eau puis courir vers la ligne de départ.
13 h : SPRINT (8 km, 56 min)
Tout le monde est propre et frais sauf moi ou presque. Je demande autour si c’est bel et bien le départ élite de la Sprint. Et c’est reparti sur le pilote automatique vitesse sprint. Outch!
Je fais la sympathique rencontre au transport de bûche de Bastien, 2e sur la Beast, aussi fou que moi d’être là toujours en train de courir! Un brin de jasette, trop génial le mec, et on continue!
J’attrape la Française Julie Blanc (la soeur de Thomas) aux “monkey-bars” où elle échoue. Je passe une Espagnole au “hercule’s hoist”. Je suis maintenant en tête. Je retrouve Bastien qui apprend la nouvelle presque en même temps que moi. La coureuse hispanique me rattrape dans le bassin d’eau. Je la poursuis dans le long tunnel sans lumière. Elle prend de l’avance, mais je la pourchasse sans relâche dans les sentiers très rocailleux. On plonge presque en même temps dans une tranchée d’eau sous des barbelés avec billot de bois à passer par-dessus. Alourdie par le poids et la froideur de l’eau, j’en ressors avec puissance comme si je devais retourner terres et mers afin de pouvoir continuer à avancer sans ralentir mon élan. On grimpe une avalanche de grosses roches où je la double enfin alors que nous arrivons en haut. Avec Bastien, je continue de courir dans le large chemin d’herbes courtes. Elle fatigue en montée, me lance-t-il. C’est le moment de gratter le fond des réserves et continuer de courir dans cette côte où mes jambes (et tout le reste de mon corps) me rappellent que j’ai couru une Beast juste avant. Le peu d’énergie alimentant mon cerveau essaie d’estimer s’il nous reste 500 mètres ou 2 km à siphonner. Je reconnais le parcours : je mets plein gaz! À la montée de corde, elle me rattrape, mais je sprinte ensuite au gros filet que je grimpe, parcours, et déboule si rapidement que Bastien m’y perd en un clin d’oeil. Virage serré, dernier barbelé brutalisant mon enveloppe corporelle encore une fois, dernier mur et c’est la ligne droite vers la victoire! Je m’affaisse au sol afin de reprendre mon souffle avec un sourire de stupéfaction. Wow!
Dimanche 9 h : SUPER (15 km, 1h15)
Un million de pensées me passent par la tête ce matin. J’enfile le même uniforme encore trempé de la veille. Me revoici sur la ligne de départ pour une troisième fois entourée de nouveaux visages et de jambes toutes fraiches.
‘’Always leave your ego out of the hexagon.” Georges St-Pierre.
Je dois redoubler de concentration; mes réflexes musculaires ressentent toujours l’enivrement des deux courses avalées la veille. Une fois mon allure bien établie, je m’amuse à pourchasser la fille devant qui à mon avis semble une bonne coureuse, mais qui n’a pas le gabarit assez imposant pour dominer tous les obstacles qui nous attendent. Très mauvais jugement de ma part alors qu’elle ne ralentit aucunement au transport de pneu, “monkey-bars”, “Hercule’s hoist”, nage… Sacrée lionne que j’ai choisi comme proie! Je m’obstine avec mes poumons et mes jambes pour la garder dans ma mire pendant les 60 premières minutes. Serais-je tranquillement (et péniblement!) en train de me rapprocher?
En cavale dans les sentiers sinueux, on entend au loin l’annonceur du site mentionner la présence d’une coureuse venue d’aussi loin que le Québec ayant coursé hier sur les deux distances (avec podiums). ‘’Elle est présentement en 3e position”. Je n’ai pas le choix de maintenir mon allure quasi suicidaire.
Un peu plus loin, je rejoins un coureur, qui me dit : aller, la première est juste devant!
Haha! Tu te trompes, je suis 3e. Je sais, dit-il, mais tu peux aller chercher la première (je sentais un clin d’oeil dans sa voix).
Avec mon allier de l’impossible, je découvre un nouveau souffle de guerrière en moi. Je l’entraine dans ma fuite vers l’impensable. Allons tout d’abord chasser cette deuxième, une Espagnole, juste devant. Aurais-je le temps? Aurais-je la force? Elle cavale sans relâche avec rapidité et agilité sur les obstacles. Bien que je sois à pleine vitesse, elle ne semble pas se rapprocher aussi rapidement. Je finis par percevoir que ma proie se fatigue tranquillement au point où nous partageons en quasi synchronisation l’exécution des obstacles. Elle se débat, mais je continue de tenir mon morceau. Au très long transport de sac de sable où l’on dévale relativement à la même vitesse, je vois mon opportunité se présenter dans la longue montée. Retenant ma joie (étouffée tout autant par l’effort herculéen que je dois donner), je la passe. Mes muscles crient en silence afin de continuer à pleine allure. Je lève la tête sous mon fardeau sablonneux et j’aperçois la meneuse : une toute petite bête italienne bien menue à moins de 25 mètres devant.
Wow! J’attrape au passage mon cavalier de l’impossible et ensemble on lutte à la fois pour s’évader de celle qui est derrière nous pour silencieusement aller chercher celle qui est devant. Les mains sur les cuisses, je pousse dans les montées. La torture physique de ne pas ralentir est accompagnée de la torture mentale du lancer du javelot qui s’annonce prochainement. Cette petite prima donna et moi y parvenons ensemble. Elle le réussit en moins de temps qu’il me faut pour choisir ma lance. J’expire, me concentre, vise, lance… Et c’est réussi! Je repars à la poursuite de cette impétueuse belette. Je n’ai pas encore dit mon dernier mot! “Oh, grand et long miroir de boue sous les barbelés, dis-moi qui sera la plus rapide?” Je plonge la tête première comme une enragée et je trace mon couloir où avec consentement, me brutalise tout le corps entre roches et épines ferrugineuses. J’en ressors la première avec un cri d’épuisement entremêlé de joie. Telle une Amazonienne couverte de boue, je sprinte et grimpe le mur glissant incliné à l’aide de la corde. Je lance un regard rapide derrière pour vérifier si elle n’a pas collé à mes talons. Non. Sans relâche j’entre sur l’aire du festival où la foule m’annonce et l’animateur vient à ma rencontre au dernier mur pour me laisser déguster la dernière ligne droite à pleine vitesse et toucher l’arrivée. Avec une fraction de seconde de délai, je crie de victoire pour réaliser que je suis la gagnante du jour, ayant donné mes tripes et mon coeur pour passer de la troisième position à la première.
Puis, je m’arrête un instant pour réaliser la performance et la réalisation du weekend en entier. Je deviens pour quelques secondes à la fois émotive et fière d’avoir tout donné. Je réalise à ce moment même à quel point je dois ma victoire à ces filles, ces battantes qui viennent d’Italie, d’Espagne et de France; et que je leur dois ce triomphe. Sans elles, rien de tout ceci n’existerait. C’est grâce à elles que je suis qui je suis aujourd’hui et ce que je deviendrai demain.
Je suis maintenant de retour à l’entrainement.
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Révision et correction: Éric Julien
Crédit Photo: Spartan Race France